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Interview : Jon Favreau pour LE LIVRE DE LA JUNGLE

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Interview : Jon Favreau pour LE LIVRE DE LA JUNGLE

À l’occasion de la sortie de l’excellent LIVRE DE LA JUNGLE, entretien avec son réalisateur.

Cet entretien a été au préalable publié dans le magazine Cinemateaser n°53 daté avril 2016

 

Comment enchaîner CHEF, toute petite comédie culinaire et humaine, avec LE LIVRE DE LA JUNGLE, superproduction Disney revisitant un classique ? Jon Favreau a l’éclectisme en ligne de mire, au risque de ne pas dérouler une carrière très lisible. Cependant, les films familiaux et fantastiques, de ZATHURA à IRON MAN en passant par COWBOYS ET ENVAHISSEURS, n’ont plus de secret pour lui. Il connaît le pouvoir et les limites d’une image générée par ordinateur. Il a l’expertise et l’œil du tigre. Entretien.

 

JungleBook1Pour la sortie de CHEF, vous nous aviez dit qu’il était très important à
vos yeux de vous prouver que vous pouviez encore faire des petits films et tourner vite. Est-ce que faire CHEF à cette époque de votre vie vous a aidé d’une quelconque manière pour LE LIVRE DE LA JUNGLE ?

Je pense que je n’aurais pas pu faire LE LIVRE DE LA JUNGLE si je n’avais pas fait CHEF auparavant. C’était un projet très important pour moi car il marquait un retour à mes racines : l’écriture, être l’auteur du film, être acteur… Je ne suis pas chef bien sûr mais le film m’était très personnel et c’est le genre de film qui ouvre votre créativité. Sur un projet comme LE LIVRE DE LA JUNGLE, imposant, mythique, il est nécessaire de trouver des éléments personnels. Le tournage de CHEF avait
été très rapide, j’avais porté plusieurs casquettes, j’avais beaucoup de responsabilités. LE LIVRE DE LA JUNGLE a été un tournage lent avec des milliers de personnes travaillant avec moi : je faisais donc partie d’une grosse machine. Je crois que ce que m’a apporté CHEF, c’est l’entraînement : j’ai dû me préparer pour le rôle et apprendre aux côtés de véritables chefs. J’ai fini par bien les connaître et comprendre qu’ils ressemblent aux cinéastes. Mais, dans le cinéma, il manque souvent ce qui dans le monde de la cuisine est crucial : l’apprentissage d’un côté et la supervision de personnes créatives de l’autre. La plupart des réalisateurs n’apprennent pas leur métier sous l’égide d’autres réalisateurs… Ils apprennent en débutant comme scénariste ou en allant dans une école de cinéma. Moi, j’ai eu la chance de commencer comme acteur et de pouvoir observer des cinéastes au travail. Dans la cuisine, ils débutent en bas de l’échelle et gravissent les échelons d’une brigade. Un chef a appris sous l’aile d’autres chefs et enseignera sûrement à de futurs chefs. Sur LE LIVRE DE LA JUNGLE, je supervisais des centaines d’artistes et grâce à mon expérience sur CHEF, je savais comment tirer le meilleur de chacun d’eux, comment leur apprendre des choses, tout en respectant leur travail. Le but étant de créer une vision à laquelle tout le monde devait s’accorder tout en permettant à chacun d’être créatif à chaque étape de la confection du film. Sans ce que j’ai appris sur CHEF, je n’aurais jamais été capable de faire un film qui soit aussi proche d’une animation.

Favreau-Exergue1Diriger des performances vocales comme sur LE LIVRE DE LA JUNGLE repose sur une relation assez intime entre un acteur et un réalisateur, il n’y a aucune barrière. En soi, c’est assez proche d’un processus théâtral. Diriez-vous que c’est ce qui pourrait rapprocher un petit film comme CHEF et un blockbuster comme LE LIVRE DE LA JUNGLE ?
Oui, c’est assez similaire avec le théâtre dans le sens où dans la performance vocale, il n’y a pas la pression de la caméra. C’est un peu comme une répétition de théâtre : on réunit les acteurs mais sans bâtir toute la prestation, sans mettre en place l’aspect physique et le ‘blocking’ (la place et les mouvements du comédien, ndlr). La seule chose qui compte, c’est la relation entre les personnages et leur voix. Quand on répète au théâtre, on met en place le ‘blocking’, on a le texte en main, on tâtonne pour bâtir la prestation – c’est un processus très libre. Sur un tournage de film, cela ne se passe jamais comme ça… On peut faire quelques répétitions mais c’est surtout pour faire des essais. La prestation finale devra forcément avoir lieu devant la caméra. Sur LE LIVRE DE LA JUNGLE, on doit trouver son chemin… Dans l’animation, on a le luxe de faire de multiples sessions d’enregistrement vocal. On met en boîte, je repars avec des performances, on débute l’animation et si je découvre ou comprend quelque chose de nouveau, je rappelle les acteurs et on fait une nouvelle session ! C’est donc un processus assez organique. Le défi, c’est de conserver une certaine spontanéité. Dans les processus requis par l’animation ou le théâtre, la spontanéité a tendance à s’évaporer rapidement. C’est très compliqué de garder les choses fraîches. Au cinéma, il y a l’immédiateté des choses qui surviennent ici, maintenant. On a beau les avoir capturées sur la pellicule, elles disparaissent immédiatement – si bien que parfois, on ne se souvient pas parfaitement de tout ce qu’on a mis en boîte la veille. Il y a donc une certaine vérité là-dedans. Alors sur un film qui dépend autant de ses effets spéciaux comme LE LIVRE DE LA JUNGLE ou IRON MAN, le défi est toujours de créer ce sentiment de spontanéité afin qu’au final les spectateurs aient vraiment la sensation d’assister à la vraie performance d’un acteur réel – et pas à des effets spéciaux.

Récemment, le producteur de ZOOTOPIE, Clark Spencer, nous disait que dans les classiques animés de Disney, la violence du récit était contrebalancée par la naïveté des dessins. Sur un film comme LE LIVRE DE LA JUNGLE, qui vise le photoréalisme, comment parvenez-vous à trouver l’équilibre ?

C’est une question très intéressante parce que de nos jours, on défriche de nouveaux territoires, techniquement. Beaucoup de ressorts narratifs du LIVRE DE LA JUNGLE étaient déjà présents dans le dessin animé de 1967. Son animation très stylisée rajeunissait le film. Ayant des enfants moi-même, je sais qu’ils sont exposés à tout un tas d’images. Le niveau d’intensité de ces images est très différent de génération en génération. Par exemple, quand mon père a vu BLANCHE-NEIGE, il a été terrifié ! Aujourd’hui, on prend ça pour un cartoon, mais à l’époque, cela avait des airs presque photoréalistes dans le sens où il y avait une vraie intensité dans les effets et les perspectives. Quand la Reine se transforme en sorcière, on dirait un film d’horreur ! Walt Disney avait une vraie maîtrise du ton. Tout dépend du mythe au cœur du récit. S’il y a de l’espoir, de la persévérance face au danger et aux obstacles, je pense que cela atténue l’intensité de certaines images. De la même façon, si l’on enlève tout suspense ou toute excitation, cela devient un film pour enfants. Ce que Walt Disney savait faire à la perfection, c’étaient des films pour tout le monde. Ils étaient appropriés pour les enfants même s’il y avait quelques scènes effrayantes – les gamins se cachaient les yeux. Et, au final, ses films étaient très fidèles aux anciens contes de fées, ils devenaient des contes moraux. Disney a bâti ses films sur des récits qui avaient des centaines d’années, qui existaient bien avant sa propre naissance. Il s’est saisi d’une mythologie, a ajouté sa patte et les dernières technologies d’animation. Je ne suis peut-être pas le meilleur pour en juger car je suis profondément impliqué dans LE LIVRE DE LA JUNGLE mais… je pense avoir équilibré l’humour et l’intensité avec le photoréalisme et avoir bâti une expérience qui fonctionne pour toute la famille.

JungleBook2Quand vous faites un film comme LE LIVRE DE LA JUNGLE, vous inspirez-vous de l’imagerie du film de 1967 ou cherchez-vous à vous en départir ?
Personnellement, j’embrasse l’imagerie. Et pas seulement celle du LIVRE DE LA JUNGLE. Ça a été un film très important pour moi et c’est le dernier dessin animé sur lequel Walt Disney a travaillé. Mais si vous regardez ce que certains désignent comme ‘The Big Five’ – à savoir BLANCHE-NEIGE, PINOCCHIO, FANTASIA, DUMBO et BAMBI –, Disney y repoussait vraiment les limites en termes d’humour, de réalisme visuel, d’aventure, d’action, de timing et surtout en termes d’animation, de caractérisation des personnages et d’émotions. Dans ces films, il y a des moments d’émotion qui sont encore très vivaces dans ma mémoire, qui restent des points de références symboliques à mesure que j’avance dans ma vie. Je pense à l’image de Dumbo et sa mère, enfermés.
À la peur que j’ai pu ressentir devant PINOCCHIO – quand j’ai emmené mon fils le voir sur grand écran, j’ai pu comprendre à quel point certaines scènes, comme celle de la baleine, me hantent encore. Donc, à mes yeux, je ne pouvais qu’embrasser cette imagerie qui a eu tant d’importance pour moi – et pour énormément de gens tout autour du monde. Quand vous verrez mon LIVRE DE LA JUNGLE, vous verrez des éléments du LIVRE DE LA JUNGLE de 1967, mais aussi d’autres animations Disney.

Mais quand vous avez tout cet héritage qui vous précède – les films Disney mais aussi le livre de Kipling –, est-ce difficile de trouver votre place, d’insérer votre vision ? Avez-vous peur d’être prisonnier de ce que les gens peuvent attendre d’une adaptation du LIVRE DE LA JUNGLE ?
Vous savez, nous avons tous peur de quelque chose. Moi, je n’aime pas les montagnes russes. (Rires.) Certains sont assez courageux pour faire de la chute libre. Pas moi ! En revanche, je n’ai pas peur de ce que les gens attendent. Après, si j’étais plus intelligent, peut-être aurais-je un peu plus peur ! (Rires.) En fait, je trouve ça assez excitant et grisant. C’est un challenge
créatif ! J’ai beaucoup de chance de pouvoir perpétuer l’héritage que vous mentionnez. Bien sûr, si ça ne marche pas, je sortirai triste et déçu de cette aventure. Mais là, je suis encore en plein dedans et ces trois dernières années ont été vraiment excitantes. Ça a été un honneur. Il y a cinquante ans, Walt Disney sortait ce film qui était adapté d’un bouquin publié par Kipling 70 ans avant. Et nous voilà aujourd’hui, munis de ces nouvelles technologies, prêts à raconter à nouveau cette histoire – qui, à mon sens, remonte même à avant Kipling car elle peut renvoyer à Romulus et Remus. Selon moi, les histoires du ‘Livre de la Jungle’ renvoient à des mythes qui accompagnent l’humanité depuis des siècles. Pouvoir se connecter à une histoire aussi simple et puissante mérite tout ce qui peut être engagé sur un film pareil et les obstacles que l’on peut rencontrer. J’ai la sensation que nous avions de quoi faire un film spécial et attachant qui existerait au-delà de son week-end de sortie.

Favreau-Exergue2Quand vous faites un film qui repose autant sur les CGI, pensez-vous à la « Vallée dérangeante » (« the uncanny valley » en anglais) ? À ce moment où trop de réalisme crée la gêne et le rejet, surtout quand vos personnages sont des animaux parlants ?

Oui, la « Vallée dérangeante » est un défi… Je suis très sensible à ce sujet. Mais vous savez, c’est un phénomène prévisible. Plus une image est familière, plus il y a de chances que le spectateur fasse l’expérience de la « Vallée dérangeante ». Par exemple, si votre enfant est reproduit en CGI et que l’on change quelques-unes de ses expressions faciales, cela sera très déconcertant pour vous. Il y aurait quelque chose de légèrement différent à vos yeux, vous ne sauriez pas trop dire quoi mais cela vous rendrait malade. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai décidé de filmer Neel (Sethi, l’interprète de Mowgli, ndlr) en 3D native. Un visage d’enfant a des courbes très fines alors dès que vous commencez à lui appliquer de la géométrie pour convertir un plan en 3D… En revanche, c’est différent pour les animaux : leurs ‘visages’ nous sont généralement moins familiers que les visages humains. On peut donc dévier de la réalité, styliser leur face et rester dans quelque chose qui apparaît photoréaliste dès lors que les surfaces sont rendues de la bonne manière. Pour éviter la « Vallée dérangeante », j’ai donc évité de travailler les visages humains en CGI et préféré les capturer de manière très réaliste. Ensuite, j’ai utilisé la motion capture pour guider les animateurs afin que la physique soit toujours réaliste. Du coup, dans LE LIVRE DE LA JUNGLE, vous verrez que les lois physiques sont réalistes, tout comme les textures, les simulations de l’eau… En somme, pour tout ce que votre cerveau connaît bien, nous avons visé le réalisme. En revanche, nous avons pris des libertés avec les échelles de taille des animaux ou avec le feuillage, que nous avons exagérés. En ce qui concerne le fait que les animaux parlent, je pense que le réalisme des images convaincra ou pas mais elles ne peuvent pas déstabiliser ou vous sortir du film.

JungleBook3Vous avez dit qu’un cinéaste, s’il reste trop souvent dans le même genre, peut vite ne plus rien avoir à dire. Des réalisateurs comme Richard Fleischer ou Ron Howard l’ont compris et sont passés de genre en genre. C’est aussi votre choix. Pensez-vous que cela empêche les gens d’avoir une idée définie de vous en tant que cinéaste ?
C’est très intéressant… Je ne sais pas trop. Réaliser un film est un défi énorme mais c’est assez magique quand ça se déroule bien. Nous sommes tous différents mais je pense que les réalisateurs veulent toujours se mettre dans une position qui permette de faire un bon film. Les films ne sont pas toujours bons mais on essaie toujours de tout faire pour qu’ils le soient. En ce qui me concerne, j’ai découvert que ce qui fonctionne bien pour moi est d’être totalement obsédé et fasciné par le film que je dois faire. Le plus obsédé et fasciné je suis, le plus dur je cravache et meilleur sera le film généralement. Cela demande du temps, de faire un film. Je choisis donc des projets auxquels je ne peux cesser de penser, qui m’excitent. LE LIVRE DE LA JUNGLE m’aura pris trois ans et je suis aussi passionné aujourd’hui que je l’étais
le premier jour. Je replongerais immédiatement s’il le fallait ! Je n’ai sans doute pas le même bagage ou le même entraînement que la plupart des réalisateurs. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Il faut donc que je trouve un moyen pour faire un bon film et le moyen que j’ai trouvé est de constamment changer de genre, de viser la variété afin d’avoir toujours la sensation que je donne le maximum à chaque fois. En conséquence, cela rend peut-être ma carrière plus difficile à définir mais en même temps, j’aime surprendre les gens à chaque fois. Parfois c’est avec succès, parfois non. Mais au moins, à chaque film je leur apporte quelque chose de différent. Avec un peu de chance, ils me verront comme quelqu’un qui bosse dur.

 

LE LIVRE DE LA JUNGLE
En salles le 13 avril
Lire notre critique

 

 


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